LA LIGNE DROCOURT-QUEANT août – septembre 1918.

La bataille d'Arras et la rupture de la ligne Drocourt-Quéant ont été la plus grande réussite militaire de la Grande Guerre. En neuf jours de rudes combats, les hommes du Corps canadien ont percé 5 lignes de défense allemandes successives ainsi que la ligne Drocourt-Quéant. Leur pression constante a finalement transformé le flanc Nord imprenable de la ligne Hindenburg, obligeant les allemands à évacuer le territoire récemment capturé, de Saint-Quentin à Ypres en Belgique.

La ténacité de l'attaque canadienne et son exécution, que ce soit dans le cadre d'une action menée par une grande unité ou en tant que petits groupes se réorganisant rapidement pour une attaque locale, ont démoralisé les défenseurs allemands. Dans leur combat jusqu'à la fin, c'est l'ingéniosité, la souplesse et le courage des Canadiens qui ont finalement gagné.

Le coût pour le Canada pour cette victoire est énorme. Entre le 26 août et le 3 septembre 1918, plus de 11 000 Canadiens ont été tués, blessés ou portés disparus.

La bataille d'Arras et la rupture de la ligne Drocourt-Quéant ont été la deuxième grande victoire canadienne dans ce que l'on a appelé "Les cent derniers jours". A partir de 1915, en tant que force coloniale de la Grande-Bretagne, ils ont résisté au gaz, en 1916 au Mont Sorrel dans le saillant d’Ypres et dans la Somme, où, comme tant d’autres, ils sont morts en grand nombre. À Vimy, en 1917, le Corps Canadien a d’abord fait preuve de cette efficacité dans l’exécution en s’emparant de la "crête". Passchendaele fût un abattoir mais le Corps Canadien a montré sa volonté de vaincre, mais à un coût terrible.

En 1918, les Canadiens étaient confiants, voire téméraires. Ils ont été tenus en réserve lors des grandes offensives allemandes sur les fronts britannique et français et ont vu l'armée allemande repousser les Alliés.

Finalement, ce fut au tour des Canadiens et près d'Amiens le 8 août 1918, attaquant avec les Australiens, ils repoussèrent les Allemands sur 12 kilomètres, marquant leur première victoire.

L'attaque suivante a eu lieu à Arras, où ils ont montré à nouveau leur supériorité sur les Allemands. Après Arras, le Corps canadien était épuisé, mais seulement trois semaines plus tard, il frappa de nouveau au Canal du Nord et Cambrai et déterminé, repoussa à nouveau les Allemands. Au cours du mois et demi qui a suivi, ils ont poursuivi leur ennemi en capturant Denain, Valenciennes et Mons lors de la dernière nuit de la guerre. Ils ont récupéré le territoire en quelques jours, ce qui aurait pris des mois en 1916 ou 1917.

Leurs batailles des « Cent derniers jours » ont été d’énormes victoires et le rôle du Corps canadien en tant que fer de lance ne devrait jamais être oublié.

Pour le Canada, les trois derniers mois ont été parmi les pires de la guerre. En août, 4563 Canadiens sont morts et en septembre 4548.

LA BATAILLE D'ARRAS ET LA RUPTURE DE LA LIGNE DE DROCOURT-QUEANT

La Grande Guerre a été qualifiée de guerre d'impasse. En 1915, 1916 et 1917, les armées étaient opposées et aucune des deux parties n'avait le pouvoir ou la stratégie pour briser l'autre. 1918 apporta des changements dans le style de guerre, ce devait être l'année décisive de la guerre qui allait impliquer de grandes batailles et de la mobilité.

            Avec la reddition de la Russie en 1917, un grand nombre de troupes allemandes expérimentées étaient disponibles pour le front occidental. Les Alliés savaient que les allemands arriveraient en 1918 et anticiperaient l'offensive en créant des positions défensives plus profondes. Ils ont attendu l'attaque et le 21 mars 1918, les allemands ont brisé la 5ème armée britannique à Saint-Quentin et ont rapidement et profondément traversé les défenses britanniques. La guerre de mouvement avait commencé. La prochaine attaque de la 3ème armée britannique près de Cambrai a eu lieu la semaine suivante, faisant reculer les deux armées britanniques et leur infligeant plus de 300 000 pertes. C'était une déroute.

            Le Canadien a maintenu ses positions au nord d’Arras et a observé l’avancée allemande vers Amiens.

La retraite britannique se poursuivit jusqu’à l’Est d’Amiens lorsque la ligne se tint et que l’impulsion de l’attaque allemande s’éteignit. En avril, les allemands attaquèrent au sud d'Ypres à cheval sur la Lys et repoussèrent l'armée britannique. Après une semaine de combats, la ligne, composée de troupes françaises, britanniques et australiennes, est maintenue.

Une troisième offensive allemande majeure est lancée contre les troupes britanniques et françaises en Champagne. Pour les allemands, c'était le même résultat. Au début, ils ont fait de gros gains, mais après plusieurs jours, les Alliés ont paralysé les allemands.

L'armée allemande était maintenant surexposée et le 18 juillet 1918, la contre-attaque française à Compiègne remporta une victoire large et facile.

Sous un voile secret, le Corps canadien est muté près d'Amiens. Le 8 août 1918, ils ont attaqué. Les Allemands ont été repoussés de 12 km et 6 km le lendemain, avant que la résistance ne se raidisse. À la mi-août, les Canadiens ont été ramenés à Arras, où ils feraient leur deuxième frappe des "Cent derniers jours".

La bataille d'Arras 1918

Le corps était euphorique après la victoire à Amiens mais la tâche qui les attendait était redoutable. Leur objectif était de casser les principales défenses allemandes, une série de systèmes de tranchées profondes bien protégées par des barbelés, constituant la charnière Nord de la ligne Hindenburg.

            Contrairement à Amiens, les positions allemandes étaient bien construites, stratégiquement placées et protégées par des ceintures de fils de fer barbelés. Ces défenses ne pouvaient pas éclater comme une bulle. Si ces positions tombaient, toute la position défensive de la ligne Hindenburg pourrait être contournée. Ils ont également protégé Cambrai, un important centre de transport et d'approvisionnement allemand. Le plan canadien était d’attaquer avec la 3ème Division de la route d’Arras à Cambrai jusqu’à la rivière Scarpe. Le 2ème (British Columbia) et le 4ème (Toronto) Canadian Mounted Rifles (CMR) attaqueraient depuis la vallée, près de Feuchy, en passant par les lignes de front allemandes et en remontant Orange Hill (sud de Feuchy), une deuxième position allemande. L'assaut serait ensuite repris par la 1er CMR (Saskatchewan) et, avec la 5ème CMR, capturerait le village bien défendu situé sur le tertre de Monchy-le-Preux. Les autres bataillons de la 3ème Division, les 116ème et 58ème (centre de l’Ontario), 52ème (nord de l’Ontario) et 43ème (Cameron Highlanders de Winnipeg) continueraient à capturer la ligne Fresnes-Rouvroy, la dernière grande opération de défense bloquant le véritable objectif, la ligne Drocourt-Quéant. La 51ème Division Impériale s'est vu confier le rôle de protéger le flanc canadien au Nord de la rivière Scarpe en suivant l'avancée canadienne.

            La 2ème Division canadienne devait sortir à la périphérie de Tilloy-lès-Mofflaines, en direction du Sud de la route Arras-Cambrai. Du Nord au Sud, les 20ème bataillon (centre de l’Ontario), 21ème (Est de l’Ontario) et 27ème (ville de Winnipeg) attaqueraient au premier abord. Le 28ème (Saskatchewan) participerait alors à l'attaque. Ils devaient capturer les positions entourant les villages de Wancourt et de Guémappe. Le 18ème (Western Ontario) s'emparerait du village de Guémappe et les 19ème et 20ème bataillons (du centre de l'Ontario) pousseraient jusqu'à Vis-en-Artois et la ligne Fresnes-Rouvroy. Les autres bataillons de la 2ème Division, le 22ème (Canadiens-Français), 24ème (Victoria Rifles de Montréal) et 26ème (Nouveau-Brunswick), captureraient Chérisy, la vallée de la rivière Sensée, et perceraient la ligne Fresnes-Rouvroy.

            Dans l'obscurité, à 3 heures du matin, le 26 août 1918, la bataille commença. Sur le front de la 3ème Division, les bataillons de la CMR (Canadian Mounted Rifles) étaient rapidement répartis sur l’ensemble des lignes allemandes. Orange Hill est tombée et à 19 h 40, Monchy était entre les mains des Canadiens. Au cours de l'attaque qui a eu lieu juste au Nord de la route Arras-Cambrai, le lieutenant Charles S. Rutherford, commandant du 5ème CMR, a, à lui seul, capturé plusieurs mitrailleuses et s'est assuré que l'avancée se poursuivait. Il a reçu la Croix de Victoria pour son courage.

L'attaque de la 3ème Division se poursuivit à l'Est, avec le 49ème bataillon (Edmonton Regiment), le Royal Canadian Regiment, le Canadian Princess Light Infantry et le 42ème bataillon (Black Watch de Montréal). À la tombée de la nuit, ils étaient encore loin de la ligne Fresnes-Rouvroy. L'attaque serait renouvelée le lendemain.

Le 26 août s’est aussi bien passé avec la 2ème division. Toutes les unités ont avancé, capturant Guémappe et Wancourt, arrêtant leur progression sur les hauteurs à l'Est du village.

 

Le 27 août 1918, l'attaque fut reprise par les deux divisions, mais l'opposition s'était renforcée. La 3ème division a attaqué les positions devant la ligne Fresnes-Rouvroy, se battant avec acharnement pour capturer Jigsaw Wood, le Bois du Sart et le Bois du Vert (à l’est de Monchy le Preux). Le 2ème CMR et le 43ème bataillon ont capturé Vis-en-Artois. Personne n'a pénétré dans la ligne Fresnes-Rouvroy.

 

Le 27 août fut un jour terrible pour la 2ème Division. Après un premier succès dans la capture de Chérisy et sa progression sur la rivière Sensée, les tirs allemands des hauteurs d’Upton Wood (Bois d’Hendecourt) et de la ligne Fresnes-Rouvroy ont stoppé l’avancée. Au Sud de Vis-en-Artois, les systèmes de tranchées allemandes empêchaient également les hommes de progresser. À la tombée de la nuit, ils étaient encore trop éloignés pour lancer une attaque directe sur la ligne Fresnes-Rouvroy et, pire encore, ils se heurtaient à des ceintures de fils de fer barbelés non coupés.

Le 28 août 1918 à 11 heures, la 3ème Division lança une attaque avec 6 bataillons sur la ligne Fresnes-Rouvroy. Lors de violents combats, les 58ème et 52ème bataillons ont envahi le village de Boiry-Notre-Dame. Les 4ème et 5ème CMR ont également cassé la ligne et capturé Rémy et Haucourt. Les positions allemandes au Nord de la route Arras-Cambrai étaient précaires. Mais au Sud de la route, les allemands ont brisé les avances de la 2ème Division. Bloquée par des fils de fer barbelés et des tirs nourris d'Upton Wood et d'Ocean Works (tranchée au sud de Vis-en-Artois), la 2ème Division avance peu et essuie de pertes très lourdes. Le courage des hommes de la 2ème Division était exceptionnel et chaque bataillon subit des pertes énormes. Le lieutenant-colonel William Clark-Kennedy a dirigé ses hommes, même s'ils étaient grièvement blessés, pendant toute la durée des affrontements du 27 au 28 août. Il a reçu la Croix de Victoria.

L'attaque du Corps canadien était en retard ; la résistance allemande avait été plus dure que prévue. Mais l'attaque devait continuer. Les bataillons décimés de la 2ème Division ont été relevés par la 1ère Division dans la nuit du 28 au 29 août 1918. La 1ère Division, le "vieux patch rouge", jouissait d'une grande réputation, même au regard des standards du Corps canadien, et ce fût un test sévère à Upton Wood.

Leur objectif était de capturer la ligne Fresnes-Rouvroy, le système de communication (commutateur) de Vis-en-Artois qui la reliait à la ligne Drocourt-Quéant et les positions allemandes sur les hauteurs d’Upton Wood. Le 29 août 1918, au cours d’une brillante action, les hommes du 1er (Western Ontario) et du 2ème bataillon (Est de l’Ontario) pénètrent dans le système de tranchées, mais au lieu d’attaquer vers l’Est, ils se dirigent vers le Nord et attaquent le système de tranchées allemandes par surprise. Le 2ème bataillon s'est uni au 3ème (Toronto Regiment) et au 8ème (Black Devils de Winnipeg) au commutateur de Vis-en-Artois. Ils ont été renforcés par les bataillons des 72ème (Seaforth Highlanders de Vancouver), 38ème (Ottawa) et 85ème (Nova Scotia Highlanders) et ont poussé les allemands vers l’Est. Les allemands se sont battus avec ténacité et, au cours des trois prochains jours, ont contre-attaqué les Canadiens, reprenant souvent du terrain perdu avant de le reperdre plus tard. En une action, les Allemands avaient pénétré de force dans la position du 38ème bataillon près de Haucourt. Le Soldat C.J.P. Nunney, VC, DCM, MM, s’est approché des positions pour encourager ses camarades, aux abois, assiégés, à résister à l’attaque. Il a continué sur le mont Dury en donnant un exemple sans peur et a grandement contribué au succès de l'opération. Il a ensuite été blessé et est décédé le 18 septembre des suites de ses blessures.

Au Nord de la route Arras-Cambrai, les unités canadiennes et britanniques se sont rapprochées des positions de départ qui devaient être utilisées lors de la prochaine phase de l'attaque, à savoir la prise de la ligne Drocourt-Quéant.

Le 31 août et le 1er septembre, la 1ère Division s'est battue non seulement pour atteindre une meilleure position de barrage, mais également pour conserver sa position actuelle. À Upton Wood (Bois d’Hendecourt), les combats ont été particulièrement intenses. Néanmoins, le 15ème (48ème Highlanders de Toronto) a non seulement combattu contre la contre-attaque, mais également attaqué pour s'emparer de la position critique du Crow's Nest (nid de corbeaux, mont d’Hendecourt), au Sud-Est d'Upton Wood. C'était un exploit impressionnant.

Alors que les combats se poursuivaient, le commandant du Corps canadien, Sir Arthur Currie, ordonna l’attaque sur la ligne Drocourt-Quéant. Le plan était que 5 bataillons de la 4ème Division attaquent la ligne Drocourt-Quéant au Mont Dury et au village de Dury. Ils devaient attaquer la position formidable de la vallée peu profonde entre Haucourt et Dury. La 1ere Division attaquait la ligne Drocourt-Quéant depuis ses positions existantes, capturait les systèmes de tranchées de soutien, puis poussait dans le secteur de Buissy et conduisait vers le Canal-du-Nord.

La 4ème Division lança son attaque à 5 heures du matin le 2 septembre 1918. Les premiers bataillons remportèrent le succès avec les 50ème bataillon (Alberta) et 46ème (Saskatchewan) dans le village de Dury, mais ils ne purent pas chasser les allemands. Au Sud de Dury, sur le mont Dury, les 75ème et 38ème bataillons ont été réduits en miettes par des mitrailleuses allemandes placées stratégiquement au sud du village, particulièrement sur la route encaissée de Dury, jusqu'à la route Arras-Cambrai. Les bataillons de renfort le 78ème (Winnipeg Grenadiers) et le 54ème (Centre-Ontario) ne font qu'aggraver le désastre du mont Dury.

Deux Croix de Victoria ont été remportées là-bas. Le capitaine Bellenden Hutcheson, officier médical du 75ème bataillon, et le soldat John Young, du 87ème ont été récompensés par la Victoria Cross pour le traitement des blessés sous des tirs nourris. Le seul bataillon de la 4ème Division à réussir ce jour-là était le 72ème. Son attaque suivait la progression de la 1ère Division au Sud et, sans leur succès, leurs camarades du Mont Dury auraient encore davantage souffert.

La 1ère Division a attaqué avec le 7ème (Colombie-Britannique), 13ème (Black Watch de Montréal) et 16ème Bataillons (Canadian Scottish). L’attaque du 13 et du 16 se solda immédiatement par un succès ; elle traversa la ligne Drocourt-Quéant et poussa en direction du secteur de Buissy, faisant de nombreux prisonniers. L’assaut est sous le feu nourri de Cagnicourt, mais ils ont terminé leur tâche. Le 16ème bataillon a remporté deux Croix de Victoria ce jour-là ; l'une au lieutenant-colonel, Cyrus Peck et l'autre au caporal William Metcalf.

L’attaque du 7ème Bataillon avait également été couronnée de succès et en grande partie grâce aux actions du soldat William Rayfield, qui avait capturé une mitraillette, une longueur de tranchée, 30 prisonniers et tué des tireurs d’élite. L'attaque du 7ème a été poursuivie par le 10ème bataillon (Alberta) qui a immédiatement rencontré des problèmes dans le village de Villers-lès-Cagnicourt. Le village avait été intégré aux ouvrages défensifs du secteur de Buissy. Encore une fois, les actions d’un seul homme ont changé l’élan de la bataille. Le sergent Arthur Knight prit la tête d'une section de bombardement et, s'avançant sous un feu nourri, engagea avec l'ennemi un combat rapproché. Constatant que son détachement était stoppé, il fonça devant lui, passant à la baïonnette plusieurs mitrailleurs et servants de mortier ennemis, et obligeant le reste de la troupe à battre en retraite dans la confusion. Son peloton ayant continué d'avancer, le sergent Knight aperçut une trentaine de soldats ennemis qui pénétraient dans un tunnel conduisant hors des tranchées. Il se rua tout seul sur eux et, après avoir abattu un officier et deux sous-officiers, il captura 20 autres soldats. Knight a été mortellement blessé plus tard dans l'action.

À la tombée de la nuit, les hommes de la 4ème Division étaient toujours pris au piège sur le mont Dury et de nombreux hommes de la 1ère Division s'accrochaient à l'aiguillage de Buissy. Toutes deux savaient que leurs positions étaient précaires et craignaient ce que le matin du 3 septembre 1918 apporterait. À l'aube, des patrouilles ont été envoyées mais les Allemands n'ont pu être retrouvés. Après tous les combats et après 11 000 victimes, la bataille était finie. La ligne Drocourt-Quéant a été capturée et les Canadiens ont vaincu un ennemi tenace lors de la confrontation. Les Allemands avaient capitulé.

Sources : The Canadians at Arras – Norm CHRISTIE – novembre 1997.